Vous présidez un groupement d'intérêt public (GIP) dont la vocation est d'"exporter" le modèle de protection sociale français à l'étranger. Il existe donc une demande pour cela ?
C'est un véritable marché ! Avec la Chine, où nous sommes présents depuis quinze ans, nous avons en cours plusieurs accords de coopération, dont l'un dans le cadre d'un consortium franco-germano-britannique, pour former les cadres de la sécurité sociale chinoise et aider le gouvernement à concevoir sa politique. D'autres pays émergents agissent de même, entre autres le Maroc, la Tunisie, le Pérou, le Mexique, le Vietnam, les Etats d'Europe de l'Est. La Russie commence aussi à y réfléchir. La démarche est à peu près partout la même : d'abord un long débat national, qui débouche sur une loi. Mais il faut ensuite des années pour construire le système et le rendre opérationnel. Il a fallu un siècle, en France, pour que l'assurance sociale devienne universelle.
Pourquoi les pays émergents choisissent-ils, à un moment donné de leur développement, de créer des systèmes de protection sociale ?
Pour les mêmes raisons que Bismarck l'a fait en Allemagne à la fin du XIXe siècle, les autres pays européens par la suite, et qu'Obama a décidé de reconstruire le système américain. Il n'est pas possible de conserver, dans une économie en croissance, des inégalités qui laissent des familles totalement démunies devant la maladie, le vieillissement, l'accident, sans revenu de remplacement. Il ne s'agit pas d'un souci humanitaire, mais de la nécessité de préserver la force de travail : il faut soigner la population pour qu'elle continue à être productive !
Dans les pays émergents, il s'agit aussi de redistribuer de façon plus équilibrée les fruits de la croissance. Cette nécessité s'impose aussi dans le cadre de la mondialisation. Jusqu'à il y a peu, la doctrine du développement économique, par exemple à la Banque mondiale, était qu'il fallait d'abord créer de la richesse, et que la protection sociale viendrait ensuite. Mais aujourd'hui, il est reconnu que la protection sociale est une condition et un outil du développement et de la redistribution de la richesse entre le Nord et le Sud.
Dans les économies traditionnelles, c'est l'agrandissement du patrimoine individuel - la famille, la terre, l'épargne - qui fait office de protection sociale "en cas de malheur". Pourquoi cela ne fonctionne-t-il plus dans les pays émergents ?
Parce que la mondialisation est aussi celle de maladies - le sida, la grippe - contre lesquelles les systèmes traditionnels ne peuvent pas grand-chose. Nous sommes tous pauvres face aux pathologies les plus lourdes, tant les soins coûtent cher. C'est pourquoi il faut un système universel garantissant un financement fixe et pérenne, par la cotisation obligatoire. Si seuls les malades paient, ça ne peut pas marcher. On le voit aussi avec les limites atteintes par les fonds internationaux ou les fondations privées dédiés à telle ou telle action. On ne peut pas combattre la maladie s'il n'existe pas une structure sanitaire permanente qui fixe et répartit les professionnels de santé sur un territoire. Et cela, seul un prélèvement obligatoire et mutualisé peut le financer. Aujourd'hui, les bailleurs internationaux lancent des appels d'offres liant la mise en place de structures de soins et de systèmes de financement pérennes.
Est-il vraiment possible, dans un pays émergent, de faire contribuer tout le monde ?
La volonté affichée par les gouvernements est de faire un prélèvement universel sur les salaires. Mais dans la réalité, le poids de l'économie informelle et la réticence de la population - qui a tendance à rejeter l'idée qu'il faut couvrir les risques tant qu'ils ne sont pas avérés - font que ce principe est difficile à mettre en oeuvre. On se replie alors sur une mutualisation au sein d'une communauté (régionale, professionnelle) sur la base de l'adhésion volontaire. Mais pour atteindre des objectifs de santé publique, l'universalisation, même progressive, du système paraît indispensable.
Propos recueillis par Antoine Reverchon
C'est un véritable marché ! Avec la Chine, où nous sommes présents depuis quinze ans, nous avons en cours plusieurs accords de coopération, dont l'un dans le cadre d'un consortium franco-germano-britannique, pour former les cadres de la sécurité sociale chinoise et aider le gouvernement à concevoir sa politique. D'autres pays émergents agissent de même, entre autres le Maroc, la Tunisie, le Pérou, le Mexique, le Vietnam, les Etats d'Europe de l'Est. La Russie commence aussi à y réfléchir. La démarche est à peu près partout la même : d'abord un long débat national, qui débouche sur une loi. Mais il faut ensuite des années pour construire le système et le rendre opérationnel. Il a fallu un siècle, en France, pour que l'assurance sociale devienne universelle.
Pourquoi les pays émergents choisissent-ils, à un moment donné de leur développement, de créer des systèmes de protection sociale ?
Pour les mêmes raisons que Bismarck l'a fait en Allemagne à la fin du XIXe siècle, les autres pays européens par la suite, et qu'Obama a décidé de reconstruire le système américain. Il n'est pas possible de conserver, dans une économie en croissance, des inégalités qui laissent des familles totalement démunies devant la maladie, le vieillissement, l'accident, sans revenu de remplacement. Il ne s'agit pas d'un souci humanitaire, mais de la nécessité de préserver la force de travail : il faut soigner la population pour qu'elle continue à être productive !
Dans les pays émergents, il s'agit aussi de redistribuer de façon plus équilibrée les fruits de la croissance. Cette nécessité s'impose aussi dans le cadre de la mondialisation. Jusqu'à il y a peu, la doctrine du développement économique, par exemple à la Banque mondiale, était qu'il fallait d'abord créer de la richesse, et que la protection sociale viendrait ensuite. Mais aujourd'hui, il est reconnu que la protection sociale est une condition et un outil du développement et de la redistribution de la richesse entre le Nord et le Sud.
Dans les économies traditionnelles, c'est l'agrandissement du patrimoine individuel - la famille, la terre, l'épargne - qui fait office de protection sociale "en cas de malheur". Pourquoi cela ne fonctionne-t-il plus dans les pays émergents ?
Parce que la mondialisation est aussi celle de maladies - le sida, la grippe - contre lesquelles les systèmes traditionnels ne peuvent pas grand-chose. Nous sommes tous pauvres face aux pathologies les plus lourdes, tant les soins coûtent cher. C'est pourquoi il faut un système universel garantissant un financement fixe et pérenne, par la cotisation obligatoire. Si seuls les malades paient, ça ne peut pas marcher. On le voit aussi avec les limites atteintes par les fonds internationaux ou les fondations privées dédiés à telle ou telle action. On ne peut pas combattre la maladie s'il n'existe pas une structure sanitaire permanente qui fixe et répartit les professionnels de santé sur un territoire. Et cela, seul un prélèvement obligatoire et mutualisé peut le financer. Aujourd'hui, les bailleurs internationaux lancent des appels d'offres liant la mise en place de structures de soins et de systèmes de financement pérennes.
Est-il vraiment possible, dans un pays émergent, de faire contribuer tout le monde ?
La volonté affichée par les gouvernements est de faire un prélèvement universel sur les salaires. Mais dans la réalité, le poids de l'économie informelle et la réticence de la population - qui a tendance à rejeter l'idée qu'il faut couvrir les risques tant qu'ils ne sont pas avérés - font que ce principe est difficile à mettre en oeuvre. On se replie alors sur une mutualisation au sein d'une communauté (régionale, professionnelle) sur la base de l'adhésion volontaire. Mais pour atteindre des objectifs de santé publique, l'universalisation, même progressive, du système paraît indispensable.
Propos recueillis par Antoine Reverchon
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